La recevabilité de l’appel de l’associé à l’encontre du jugement d’ouverture de la procédure collective de la société en nom collectif : réflexions critiques (I)

Publié le par baldix

La recevabilité de l’appel de l’associé à l’encontre du jugement d’ouverture de la procédure collective de la société en nom collectif : réflexions critiques

 

Note sous Aix-en-Provence, 8ème  ch. C, 12 février 2002, n°140

 

Dura lex, sed lex. En exerçant leur activité sous un nom collectif, les associés couraient le risque de chavirer avec leur société. En effet, du fait de leur obligation illimitée au passif social dont le paiement peut affecter leur patrimoine personnel ([1]), les associés d’une société en nom collectif peuvent être individuellement frappés par les difficultés financières rencontrées par celle-ci. Or, l’expression la plus manifeste de cette menace réside précisément dans la règle, fort ancienne ([2]), édictée par l’article L. 624-1 du Code de commerce : le « jugement qui ouvre le redressement ou la liquidation judiciaires de la personne morale produit ses effets à l’égard de toutes les personnes membres ou associées de la personne morale et indéfiniment et solidairement responsables du passif social » ([3]). Mais le temps passé n’a pas permis de régler toutes les difficultés d’application que suscite sa formule ambiguë « produit ses effets ». Le présent arrêt, qui donne lieu à de précieuses mises au point, ne manquera pas d’intéresser nombre de spécialistes de droit processuel, de droit des sociétés et des procédures collectives.

 

En l’espèce, le tribunal de commerce de Marseille s’était saisi d’office aux fins de l’éventuelle ouverture d’une procédure collective à l’encontre de la société en nom collectif Domaine de Fontvieille, au vu d’un rapport déposé par l’administrateur provisoire. Celui-ci avait été désigné à la demande de deux associés, Pierre et Jacques Ludwig, ce qui laisse supposer une mésintelligence entre eux et l’associé gérant, Georges Keramidas, qui était déjà soumis à une procédure de liquidation judiciaire. Par jugement en date du 3 mai 2001, le tribunal estimant que le redressement de la société n’était pas envisageable, a prononcé d’emblée la liquidation judiciaire de celle-ci. Le mandataire ad hoc de la société n’avait pas cru bon de contester le jugement, et pour cause : il était à l’origine de la saisine d’office du tribunal.

Afin d’éluder les restrictions apportées à la voie d’appel en réformation du jugement, réservée aux seules personnes énumérées à l’article L. 623-1 1° du Code de commerce, les deux associés in bonis ont interjeté un appel aux fins d’annulation, qui est ouvert à toute partie en première instance par application de l’article 546 du nouveau Code de procédure civile. Cependant, le mandataire liquidateur de la société souleva une fin de non-recevoir, en concluant que les associés n’avaient pas la qualité de parties à l’instance tendant à l’ouverture de la procédure collective de la société en nom collectif. Les deux associés opposèrent au contraire que leur qualité d’associés indéfiniment responsables les rendaient débiteurs au même titre que la société, de sorte qu’ils devaient être personnellement convoqués devant le tribunal et, le cas échéant, ont qualité pour interjeter appel. Ce point de procédure commandait d’ailleurs le bien fondé de l’appel nullité car, selon les associés, le jugement du tribunal serait faute pour celui-ci de les avoir régulièrement convoqués et, en tout état de cause, en vertu de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

 

La 8ème chambre C de la cour d'appel d’Aix-en-Provence était ainsi appelée à préciser la situation procédurale des associés dans le cadre de l’instance tendant à l’ouverture d’une procédure collective de la société en nom collectif. La solution semble au premier abord évidente, compte tenu de l’objet du litige dont est saisi le tribunal : l’instance tend au redressement ou à la liquidation judiciaire de la société, régulièrement défendue par le mandataire ad hoc, et non pas à celui ou celle des associés. Mais au fond, l’antinomie des thèses des plaideurs suggère que le débat relatif à la qualité de parties à l’instance des associés n’est simple qu’en apparence. Pour mieux cerner la difficulté soumise à la cour, il faut tenir compte des conséquences patrimoniales subies ultérieurement par les deux associés. La liquidation judiciaire de la société prononcée, ces derniers avaient été convoqués devant le tribunal marseillais qui, par un jugement en date du 30 août 2001, ouvrait à leur encontre une procédure de liquidation judiciaire sur le fondement de l’article L. 624-1 du Code de commerce. Soumis personnellement à une procédure de liquidation distincte, exclus du cercle du débat portant sur l’état de cessation des paiements de la société, les associés se trouvaient démunis du pouvoir de contester le fait générateur de leur propre procédure collective : la liquidation judiciaire de la société. En somme, le tribunal statuant sur la procédure collective de la société en nom collectif ne devait-il pas convoquer personnellement chacun des associés, dès lors que le jugement était susceptible d’entraîner l’ouverture de plein droit d’une procédure collective à leur encontre ?

 

La cour d'appel trancha la difficulté en énonçant, au fronton de son arrêt, que « l’associé n’est pas partie dans le cadre d’une instance visant à l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre d’une société en nom collectif, qu’elle soit diligentée par un créancier, par un débiteur ou d’office par le tribunal ». Mais cet attendu, plutôt défavorable à la recevabilité de l’appel, n’eut ici qu’une valeur pédagogique, quoique importante. Continuant l’essor remarquable que connaît l’appel nullité en droit des procédures collectives ([4]), elle reçut non sans audace l’appel des associés et annula le jugement en raison du non respect du principe de la contradiction, au motif que le prononcé de « la liquidation de la société en nom collectif Domaine de Fontvieille à l’insu des appelants qui n’ont pas été avisé de la procédure » constitue une « violation des dispositions de l’article 6. 1 de la convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales concernant le droit à un procès équitable…, dès lors que les appelants ne pouvaient se voir privés de la possibilité d’exercer un recours contre une décision qui leur cause un préjudice direct » et « concerne directement les droits et obligations de Messieurs X en leur qualité d’associés dès lors qu’ils sont solidairement responsables du passif et a pour effet de rendre inéluctable l’ouverture d’une procédure collective à leur encontre ». L’on n’aurait d’ailleurs pas rêvé meilleure fortune pour ces associés en désarroi, puisque la cour, évoquant d’office le fond de l’affaire, constatait l’absence d’état de cessation des paiements de la société. Par ricochet, le jugement prononçant leur liquidation judiciaire personnelle se trouvait privé de support et donc infirmé ([5]).

 

Ce 12 février 2002, la cour d'appel d’Aix-en-Provence a rendu un arrêt doublement de principe.

Arrêt de principe d’abord, parce que s’y trouve édictée une règle qui, à notre connaissance, n’a jamais fait l’objet d’une si nette proclamation ([6]). En rappelant à juste titre que l’associé en nom collectif n’est pas partie à l’instance ayant pour objet l’ouverture de la procédure collective de la société, la cour récuse sans détour le postulat doctrinal selon lequel la saisine du tribunal à l’égard d’une société en nom collectif vaut également pour les associés indéfiniment responsables ([7]). La doctrine considère généralement qu’il y a lieu de faire comparaître les associés indéfiniment responsables dans l’instance ayant pour objet l’ouverture d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire de la société débitrice, comme si tous devaient subir simultanément et obligatoirement le même sort. Ce à quoi la cour s’oppose pour restituer une vison plus exacte du régime d’ouverture de plein droit des procédures collectives des associés.

Arrêt de principe encore, parce qu’en redonnant aux associés en nom ce qu’elle vient d’ôter des mains de la doctrine par une motivation iconoclaste, la cour suscite une discussion de principe sur les moyens procéduraux permettant de contester le jugement déclaratif de l’état de cessation des paiements de la société. La détermination de la cour à ouvrir aux associés la voie de l’appel nullité réside certainement dans le constat qu’aucune autre voie de recours n’était envisageable. En l’espèce, il devait apparaître vain pour les associés d’espérer de l’état actuel du droit français une chance de contester le jugement déclaratif de la liquidation de leur société par une autre voie que l’appel nullité. Pour que la juridiction d’appel puisse statuer au fond, il est en effet nécessaire que la personne qui y a intérêt ne dispose d’aucune voie de recours contre la décision qu’elle critique ([8]). Or, la voie de la tierce opposition, ouverte aux tiers était fermée aux associés tant en fait ([9]) qu’en droit : nonobstant deux sentences passées inaperçues ([10]), la jurisprudence des cours d’appel ([11]) et de la Cour de cassation ([12]) se refuse massivement à admettre la recevabilité de la tierce opposition formée par un associé en cas de litige entre la société et un tiers, au motif que, représenté dans l’instance par le mandataire social, il n’est pas un tiers au sens de l’article 583 du nouveau code de procédure civile. Ainsi, on peut voir dans l’échec de la tierce opposition la caractérisation de la privation de recours avancée par les conseillers aixois. Pas plus tiers que parties, les associés en nom se trouvaient privés de recours à l’encontre d’une décision susceptible de rendre exigible leur obligation personnelle de garantie. Devant cette contradiction constitutive d’une iniquité absolue, la cour a vu d’un bon œil l’invocation de cette source intarissable qu’est l’article 6 §1 de la Convention européenne des droits des l’homme.

 

La doctrine est animée d’un objectif louable, qui est le même que celui recherché par la cour : l’associé en nom ne peut pas rester étranger à la sujétion de la société à une procédure collective, car il en assume les conséquences. La voie empruntée par les conseillers n’est cependant pas la même, car il leur a fallu d’abord restituer une vision plus exacte de la situation procédurale de l’associé en nom dans le cadre de l’instance portant sur l’ouverture d’une procédure collective de la société, notamment à partir d’une analyse contemporaine de son obligation personnelle de garantie du passif social (I). Faisant alors de l’analyse nouvelle le socle de sa décision de recevoir l’appel nullité formé par les deux associés en nom, la cour d’appel réécrit le droit français à la lumière de la Convention européenne des droits de l’homme. Cependant, la solution qu’elle dessine peut laisser perplexe compte tenu des complications procédurales qu‘elle entraîne (II).

I.      Ce que n’est pas l’associé en nom : partie à la procédure collective de la société.

 

La doctrine est demeurée particulièrement discrète, sinon extrêmement prudente, sur la question de savoir si l’associé en nom a qualité pour interjeter appel du jugement se prononçant sur l’état de cessation des paiements de la société ([13]), sans doute parce qu’elle reste prisonnière d’une conception désuète du régime de plein droit prévu par l’article L. 624-1 du Code de commerce (A). En contrechamp, la cour d'appel d’Aix-en-Provence s’appuie sur la distinction des procédures respectives de la société et des associés pour confirmer que la qualité de partie de l’associé en nom, dans l’instance en ouverture d’une procédure collective de la société, ne relève pas du droit positif (B).

A.   Une difficulté ignorée par la doctrine : l’absence de qualité de partie de l’associé en nom en droit positif français.

 

La doctrine enseigne que la saisine du tribunal à l’égard d’une société en nom collectif vaut à l’égard des associés, car l’effet de plein droit résultant du jugement de redressement ou de liquidation de la société doit s’entendre comme un effet « automatique »([14]) ou « immédiat » ([15]) sur les associés. Il s’ensuit dès lors une obligation de convocation des associés en nom dans le cadre de l’instance visant la société, qui se déduirait d’ailleurs des articles 6, 7, 8 et 9 du décret du 27 décembre 1985 ([16]).

En vérité, il faut reconnaître que l’obligation de convoquer les associés en nom est dénuée de tout fondement juridique (1). Une compréhension erratique de ce qu’il convient d’entendre par ouverture de plein droit des procédures collectives des associés est sans doute à l’origine de cette erreur (2).

1.      L’absence d’obligation légale de convocation des associés en nom.

 

Pour s’en convaincre, il suffit de relire les textes qui, selon la plupart des auteurs, rendent compte du devoir d’attraire les associés en nom dans la procédure intéressant la société. En cas de saisine du tribunal par le représentant de la personne morale d’abord, la doctrine excipe cette obligation de comparution de l’article 6, al. 2 7° du décret du 27 décembre 1985, alors que ce dernier énonce simplement qu’est jointe à la déclaration la liste des membres responsables solidairement des dettes sociales, avec l’indication de leur nom et domicile. S’agissant ensuite de la saisine du tribunal par un créancier, d’office ou par le Procureur de la République, le fondement juridique de la convocation des associés est encore plus divinatoire, puisqu’il est fait mention des articles 7, 8 et 9 dudit décret, lesquels demeurent absolument interdits sur la question.

En définitive, il n’existe aucune obligation légale d’assigner, de convoquer, d’auditionner ou d’informer « automatiquement » l’associé en nom de l’ouverture d’une procédure collective de la société. D’ailleurs, la doctrine serait bien en peine d’illustrer son propos par une décision favorable à la convocation de l’associé en nom dans l’instance dirigée contre la société et, partant, à la recevabilité de son appel.

 

2.      Le fondement de l’ouverture des procédures collectives des associés en nom.

 

Pour mieux comprendre pourquoi cette obligation de convocation, si mal établie en droit, imprègne tant les esprits, il faut remonter au principe auquel la doctrine la rattache. À la source de cette illusion se trouve, en effet, une analyse erronée du régime d’ouverture des procédures collectives des associés.

 

La maxime selon laquelle la saisine du tribunal à l’égard d’une société en nom collectif vaut à l’égard des associés constitue, pour la doctrine, le cœur du système prévu par l’article L. 624-1 du Code de commerce ([17]).  Or, ce principe procède à l’origine d’une assimilation traditionnelle de leur défaillance à celle de la société. La justification historique de la disposition contenue dans l’article précité se trouve précisément dans la nature sui generis de la société en nom collectif. Celle-ci est fondamentalement une union de personnes. Ce qui la caractérise est sans aucun doute la volonté des associés de ne pas sacrifier la vigueur des liens existant entre eux et d’être individuellement responsables des engagements sociaux. Chaque associé peut être poursuivi pour le tout en vertu de son obligation indéfinie et solidaire au passif social, à charge ensuite pour le solvens de se retourner contre ses coassociés afin de les mettre à contribution ([18]). Cette société est certes dotée d’une personnalité juridique distincte de celle des associés, donc d’un patrimoine propre, mais il est d’usage d’en rappeler la faible consistance, à défaut d’une séparation absolue entre la situation sociale et personnelle des associés ([19]). L’argument est alors le suivant : une société de cette nature ne peut se concevoir en état de cessation de paiement  sans qu’il en soit simultanément de même pour ses associés ([20]). Ce ne serait alors que justice que de provoquer la défaillance des associés qui, par leur carence, sont responsables de ne pas avoir empêché la déconfiture de la société qui couvrait leurs agissements. En conséquence, les graves difficultés rencontrées par la société doivent rejaillir sur les associés, sans que le tribunal puisse apprécier le bien fondé de la mesure prise individuellement à leur endroit. Il s’ensuit que le prononcé judiciaire du redressement ou de la liquidation de chaque associé de la personne morale est « obligatoire »([21]).

 

Cet argument historique, qui repose sur une présomption d’état de cessation de paiement des associés en nom, doit aujourd'hui faire l’objet des plus sérieuses réserves([22]).  Heureusement, rares sont ceux qui, marchant dans les pas des anciens, soutiennent encore que la qualité de commerçants des associés en nom justifie qu’ils subissent le même traitement juridictionnel que leur société ([23]).

Aussi doit-on rappeler que l’engagement indéfini et solidaire des associés à l’égard de la société, permettant aux créanciers sociaux de faire appel à leur facultés contributives ([24]), ne repose pas sur une confusion ab initio des patrimoines sociaux et individuels. Ceux-ci sont juridiquement distincts. Ce serait identifier la cause de l’engagement des associés à son effet : leur patrimoine est remis aux créanciers sociaux à titre de garantie accessoire du passif social, il ne s’intègre nullement dans celui de la société. Ainsi, la responsabilité patrimoniale de l’associé en nom ne découle pas de l’idée archaïque que sa participation à la vie sociale est nécessairement à l’origine de l’état de cessation des paiement de la société, ce qui suggère une idée d’imputabilité, mais de la circonstance qu’il s’est engagé à titre personnel à supporter, solidairement avec les autres associés, l’intégralité des dettes sociales.

Par ailleurs, il est aujourd'hui bien acquis que l’associé en nom n’est pas coobligé ou codébiteur des engagements sociaux, mais seulement tenu d’une obligation indéfinie subsidiaire de garantir le paiement du passif social ([25]). En somme, le caractère personnel de l’obligation de l’associé ne doit pas étouffer son caractère subsidiaire, c’est-à-dire que les créanciers sociaux n’ont aucun droit personnel immédiat contre les associés et doivent poursuivre préalablement la société ; par suite, il apparaît indiscutable que l’associé est tenu in finitum seulement en l’état de la défaillance avérée de la société en nom, qu’il s’agisse d’une action en paiement des dettes sociales ([26]) ou, comme dans le cas présent, de l’ouverture d’une procédure collective.

 

Cette mise au point montre combien est ambiguë l’expression employée par l’art. L. 624-1 du Code de commerce, selon laquelle le jugement ouvrant une procédure collective à l’encontre de la société « produit ses effets à l’égard de chaque associé ». En proclamant que la saisine du tribunal à l’égard de la société vaut pour les associés en nom ([27]), la doctrine exagère par cette ellipse la portée du lien unissant la procédure de la société et les procédures subséquentes frappant ses associés. Or, à notre sens, une saine compréhension de l’effet dit « de plein droit » posé par l’article L. 624-1 du Code de commerce consisterait donc à accentuer la différence entre le rôle joué par l’associé dans l’activité de la société et sa situation personnelle. La procédure collective frappant chacun des associés n’est ouverte « par ricochet » qu’autant que ceux-ci ont été individuellement assignés ou convoqués à cette fin. Affirmer que le redressement des associés a pour cause le jugement prononçant celui de la société en nom collectif, ne signifie en aucun cas qu’il repose sur une cause commune (présomption d’état de cessation de paiement des associés) ou sur une cause directe (ouverture immédiate de la procédure contre les associés), comme jadis. Cela veut seulement dire que le tribunal statuant sur leur sort, et régulièrement saisi, ne dispose d’aucun pouvoir d’appréciation sur le principe même du redressement, qui est un effet de la loi ([28]). À tout prendre, il conviendrait de bannir de la matière l’usage du vocable « automatique », succédané si peu didactique, et de s’en tenir à l’expression « de plein droit ».

B.   Les effets de l’exclusion de la qualité de partie des associés en nom.

 

En énonçant que « l’associé n’est pas partie dans le cadre d’une instance visant à l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre d’une société en nom collectif », la cour se tient à l’unique objet de la saisine du tribunal : l’ouverture éventuelle d’une procédure collective de la société. À ce stade de la procédure, l’associé en nom ne fait l’objet d’aucune procédure collective par application de l’article L. 624-1 du Code de commerce. Pour autant, la séparation n’est pas absolue. Toute la difficulté consiste à admettre concomitamment que les procédures sont indépendantes (1) et que celle frappant la société a quelques résonances décisives dans celle concernant chacun des associés (2).

1.      L’indépendance des procédures collectives.

 

Nul ne conteste l’indépendance des procédures respectivement ouvertes à l’encontre des associés et de la société ([29]). La règle suivant laquelle le tribunal ouvre autant de procédures qu’il y a d’associés n’est pas nouvelle ([30]). De plus, la société peut être assignée à son siège social, sans que les associés le soient personnellement([31]). Surtout, chacune des procédures suit un régime propre, l’autonomie justifiant par exemple que des solutions différentes soient adoptées, qu’une liquidation soit d’emblée prononcée à l’égard d’un associé alors que la société bénéficie d’une redressement judiciaire ([32]). Précisément, c’est pour cette raison que nous nous étonnons que la doctrine ait déployé si peu d’efforts pour justifier la comparution des associés en nom et s’inspire toujours d’une conception excessivement large du lien unissant les différentes procédures collectives. Bien que prenant acte de l’indépendance des procédures, elle n’a jamais rompu avec la portée traditionnellement attribuée au caractère de plein droit du redressement ou de la liquidation judiciaire des associés. Le postulat erroné selon lequel la saisine du tribunal à l’égard de la société s’étend aux associés ne revient-il pas à rendre consubstantielles toutes les procédures ?

 

En réalité, la raison de cette économie de pensée s’avère assez simple. Elle tient à ce qu’en pratique, l’indépendance des procédures n’est quasiment jamais perceptible, dans la mesure où celles-ci font généralement l’objet d’un jugement commun ([33]). En bref, la question de la recevabilité de l’appel soumise à la cour a rarement lieu de se poser.

Il n’est pas difficile de discerner les deux situations contentieuses statistiquement les plus fréquentes. En premier lieu se trouve le cas où société et associés en nom sont tous assignés ou convoqués devant le tribunal ([34]). Naturellement, chacun pourra relever appel du jugement, qui concerne tant la société que les associés ([35]). En second lieu, il arrive souvent que le tribunal seulement saisi de l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre d’une société en nom collectif statue d’office sur le sort des associés,. Les juges, et l’on verra que la cour d'appel n’a malheureusement pas évité cet écueil, persistent à penser que lorsqu’une société de membres tenus in finitum fait l’objet d’une instance en ouverture de procédure collective, le jugement qui prononce le redressement ou la liquidation judiciaire peut, et même doit, prononcer immédiatement celui ou celle de tous les associés ([36]). En se prononçant de la sorte, le tribunal passe outre l’autonomie de chaque procédure. Une fois encore, le réflexe porte à croire que l’associé en nom ne peut pas échapper à sa procédure collective, parce que la déconfiture de la société lui est imputable. Les censures prononcées sont alors justifiées par la violation des formalités requises en matière de saisine d’office du tribunal : le jugement, dont appel a été régulièrement relevé par l’associé en qualité de partie au jugement, est nul dès lors que les juges ont cru pouvoir se prononcer de plein droit sur l’ouverture de la procédure sans le convoquer pour une audition en chambre du conseil ([37]).

Lorsque, par contre, les décisions font état de procédures réellement distinctes, leur valeur de principe ne passe jamais inaperçue ([38]). Gageons qu’il en soit pareillement pour l’arrêt rendu par la cour d'appel d’Aix-en-Provence. Toute la valeur de cette espèce réside justement dans l’indépendance effective de chacune des procédures collectives visant la société et ses associés. Les deux associés en nom ont fait l’objet d’une liquidation judiciaire personnelle suivant un jugement postérieur à celui de la société([39]). De plein droit certes, mais non pas spontanément : la conception traditionnelle du lien unissant les procédures respectives ne pouvait avoir de prise sur une telle situation. La saisine du tribunal de la procédure intentée contre la société n’a pas valu pour les deux associés, lesquels ont été convoqués ultérieurement et jugés trois mois plus tard. Dès lors, c’est à raison que la Cour a estimé que n’étant pas parties à l’instance ayant pour objet l’ouverture de la procédure collective de la société, les associés ne sont pas habilités à interjeter appel du jugement déclaratif de la liquidation de la société. Finalement, l’autonomie de l’instance en ouverture de la procédure collective des associés se signale essentiellement, d’une part, par le devoir de les convoquer ou de les faire assigner régulièrement dans leur propre procédure et, d’autre part, par le pouvoir du juge saisi de les soumettre à une solution différente de celle décidée à l’encontre de la société ou de chacun eux ([40]). C’est d’ailleurs ce qu’énonce avec amertume la Cour, qui a « seulement la possibilité de choisir la nature de la procédure ».

 

Ainsi, l’indépendance des procédures collectives exclut de considérer les associés en nom comme parties à l’instance ayant pour objet le prononcé éventuel du redressement ou de la liquidation judiciaire de la société. Mais en règle générale, la distinction des procédures ne saurait se ramener à leur seule autonomie. Ce serait oublier le caractère incident de la procédure dont font l’objet chacun des associés.

2.      La subsidiarité des procédures collectives des associés en nom.

 

L’article L. 624-1 du Code de commerce le rappelle, nonobstant son imprécision : cette procédure est un effet du jugement déclaratif du redressement ou de la liquidation de la société. Dérivée de celle de la société, elle exprime parfaitement la subsidiarité caractérisant l’obligation indéfinie de l’associé. Ainsi, les créances susceptibles d’être déclarées au passif de l’un des associés comprend, outre ses dettes personnelles, seulement les dettes sociales régulièrement déclarées au passif de la société ([41]). De la même façon, le tribunal rend un jugement distinct seulement après avoir vérifié l’existence d’un jugement prononçant régulièrement la procédure collective de la société ([42]). À supposer même que le tribunal statuât sur les associés et la société au sein d’une même décision, la partie du dispositif du jugement concernant les associés ne peut précéder ni se confondre avec celle visant la société.

Or, cette subsidiarité est particulièrement dévastatrice pour les droits fondamentaux des associés, lorsque l’on n’est pas en situation de litisconsortium, comme en l’espèce. En effet, le tribunal, statuant à l’encontre des associés par application de l’article L. 624-1 dudit code, ne dispose d’aucun pouvoir d’appréciation du bien fondé de la demande ou de sa saisine d’office. Son office se résume à constater un préalable juridictionnel, puis à se prononcer souverainement sur le régime et la solution adéquats. En clair, l’associé se trouve dessaisi du pouvoir de contester le bien fondé de son redressement ou de sa liquidation judiciaire ; s’il est acquis que la preuve de l’absence de son état de cessation des paiements est inutile ([43]), il apparaît contraire à la nature des choses de l’empêcher de discuter du seul élément justifiant la mesure prise à son encontre. Mais tel est l’état du droit positif français. Non partie à l’instance donnant lieu au jugement déclaratif de l’état de cessation des paiements de la société, en raison de l’indépendance des procédures, il se trouve démuni devant le rôle passif de son juge, tenu par un régime de plein droit.

 

II.  Ce que n’est pas encore l’associé en nom : tiers à la procédure collective de la société.

 

L’originalité de la prise de position de la cour d'appel d’Aix-en-Provence ne réside pas dans sa constatation que les associés étaient privés de voie de recours à l’encontre du jugement statuant sur la liquidation judiciaire de la société. Même si, hormis en matière pénale([44]), le droit de disposer d’un recours contre une décision juridictionnelle n’a pas été consacré par la Convention ou la jurisprudence européenne comme un élément fondamental du procès équitable ([45]), il a pu être pertinemment invoqué comme un moyen de restaurer l’effectivité des droits de la défense([46]). Ainsi, les juridictions françaises ont pu décider, au visa de l’article 6 §1 de la convention européenne des droits de l’homme, qu’un débiteur ignorant une décision rendue à son insu et affectant directement ses droits et obligations ne pouvait se voir opposer la tardiveté de son opposition, par application de l’article 25 du décret du 27 décembre 1985, dès lors que cette décision n’a pas été régulièrement portée à sa connaissance ([47]). On s’aperçoit bien, d’ailleurs, que les décisions précitées ont influencé la rédaction de la motivation de l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Mais l’analogie se présente ici de manière inédite. Après avoir conféré aux associés en nom le droit d’être avisés d’une procédure ayant pour objet le prononcé du redressement ou de la liquidation judiciaire de la société ([48]), dès lors que le jugement « a pour effet de rendre inéluctable l’ouverture d’une procédure collective à leur encontre » ([49]), l’arrêt puise dans le droit conventionnel européen le moyen d’accueillir le recours. En déclarant recevable l’appel nullité des associés, la Cour leur consacre implicitement et rétroactivement la qualité de partie en première instance dès lors que, fussent-ils non comparants, ils auraient être avisés de la procédure ([50]). La cour a ainsi fait preuve d’une audace créatrice : d’un bout à l’autre de la décision, la position processuelle des associés a évolué, passant de non-partie lors de la première instance à celle de partie. L’effort est généreux, mais la disposition de droit européen est comme la plus belle fille du monde : elle ne peut donner que ce qu’elle a. Le raisonnement adopté par la Cour n’est simple qu’en apparence, car il repose sur une des notions les plus indéterminées du droit français : qu’est-ce qu’une partie à l’instance ? (A) Devant la complexité des réponses avancées en procédure civile et en droit des procédures collectives, mieux vaut encourager le droit français à évoluer de lui même et à concevoir l’associé titulaire d’un intérêt personnel comme un tiers au sens de la tierce opposition (B).

A.   La réécriture discutable du droit processuel français : l’associé en nom, partie nécessaire à la procédure collective de la société.

 

La hardiesse animant la cour aixoise peut apparaître comme offrant des nouvelles perspectives d’extension du droit de critiquer une décision de justice. Mais elle présage surtout de difficultés redoutables que connaît tout spécialiste du droit des procédures collectives. L’obligation d’aménager une voie de recours à une personne qui n’a pu se faire entendre n’implique-t-elle pas de définir ce qu’il faut entendre par « partie » à une instance ? Un état des lieux rapide du droit positif suffit à se rendre compte du degré de confusion qui règne en matière processuelle (1). En toute hypothèse, la distinction des procédures collectives des associés et de la société nous conduit à ne pas adhérer à la position aixoise (2).

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